Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi

Babel Essai, Actes Sud, 2010

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utopylogie couverture du livre de Pierre Rabhi Vers la sobriété heureuse

Le livre retrace le cheminement de pensée en adéquation avec le mode de vie alternatif testé, approuvé et enseigné par Pierre Rabhi lui-même. Il puise ses idéaux dans la poésie des souvenirs de son enfance Algérienne et dans son contentieux avec la modernité. Écrit au moment de la crise financière de 2008, cet ouvrage n’en est que plus d’actualité avec la pandémie de coronavirus et ses conséquences en cascade. Il y prône l’autolimitation et la simplicité volontaires permettant d’entrevoir des opportunités dans les limites de nos sociétés contemporaines et faire face à la grave crise sociale, économique et environnementale actuelle.

Avec délicatesse, Pierre Rabhi évoque dans son livre les racines du mal-être de notre société lié aux changements majeurs advenus sur les trois piliers de l’humanité : le rapport au temps, à l’argent et au travail, avec comme question en filigrane : Travaille-t-on pour vivre ou vivons-nous pour travailler ?  Il y aborde également la perte de nos repères, l’effacement des cultures locales, la raison pure dominant notre société, la vulnérabilité de notre monde qui dépend de technologies impossibles à réparer de manière autonome, la déconnection à la réalité, aux cycles de la nature1, au sens de la vie (la valeur de la vie et de la mort, le sol de nos ancêtres…)…

Désormais, la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l’humanité sera de répondre à ses besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cultiver son jardin ou s’adonner à n’importe quelle activité créatrice d’autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l’asservissement de la personne humaine.

Pierre Rabhi, essayiste, romancier, agriculteur, conférencier et écologiste français, fondateur du mouvement les Colibris, Franco-Algérien, né en 1938

Au début du XIIè siècle, le temps est régulé par l’église et ses cloches annonçant les offices et rythmant les travaux des champs2. Un siècle plus tard, la construction de beffrois avec les premières horloges impose un temps uniformisé et cadencé en heures qui rythmera désormais le temps de travail et plus particulièrement celui du commerce2. Au fur et à mesure que les distances de transport des marchandises s’allongent, les bourgeois négociants donnent une même valeur au temps et à l’argent2. C’est le début de l’accélération de nos modes de vie.

Au XXè siècle, le rapport au temps se radicalise avec l’accélération des déplacements des personnes, des marchandises et de l’argent afin de répondre à la rentabilité immédiate voulue par les industriels, les financiers, les banques et les actionnaires3. Car plus le capital tourne vite et plus le taux de profit annuel est élevé2. Par conséquent, le temps doit être gagné au même titre que l’argent. Il faut être rapide, efficace et surtout rentable. Ainsi, le rythme de la vie, qui est un temps économique vide basé sur le rythme de la circulation des capitaux, supplante le rythme biologique et écologique de l’homme3.

L’argent est devenu la mesure de la richesse humaine. Mais, il efface tout sur son passage : savoir-faire, culture, compassion… la surabondance n’apporte pourtant pas le bonheur et engendre la frustration, soutenue par la publicité.

Selon Pierre Rabhi, les soixante-huitards en sont la preuve. Étudiants et jeunes actifs en excès d’avoir se retrouvent à la recherche de leur être à travers de nouvelles idéologies : la valeur de chacun, du temps, la richesse des expériences et des envies4. Ce malaise remet en question les Trentes Glorieuses, période de forte croissance économique et d’augmentation du niveau de vie pendant laquelle la consommation est élevée comme art de vivre dans la majorité des pays développés entre 1946 et 1975. Ainsi, malgré des niveaux d’études élevés et des bonnes situations professionnelles, les soixante-huitards font le trajet inverse de l’exode rural. Mais leurs aspirations à une vie simple sont freinées par la rigidité d’institutions obsolètes toujours à l’œuvre5.

On n’avait jamais vu que celui qui voulait se borner dans la pauvreté fût condamné à retomber perpétuellement dans la misère.

Charles Peguy, L’argent, 1913, écrivain, poète, essayiste Français, 1873-1914

Lorsqu’en 1913, Charles Peguy écrit l’essai L’argent, la société a déjà basculé dans le monde moderne depuis près d’un siècle, suite à la révolution industrielle. Ainsi, la morale du labeur et de la pauvreté enseignée alors par les parents, les curées et les instituteurs de l’ancienne France n’est plus d’actualité. Pendant des siècles, l’homme qui travaille tant qu’il le peut physiquement et sait se limiter (« qui n’a aucun grand vice, qui n’est ni joueur, ni ivrogne »6), ne peut pas mourir de faim et continue de nourrir sa famille, même modestement. C’est ce qu’on appelle la pauvreté. Or, dans notre société de l’immodération, consolidée par les marchés communs, l’argent est pris en hold-up par quelques insatiables et l’emploi n’est plus garanti à vie. La misère peut alors survenir du jour au lendemain7.

Pourtant, après la Première Guerre Mondiale, de nombreux jeunes démobilisés cherchent un travail plus sûr et mieux rémunéré loin du monde agricole, afin d’échapper aux conditions pénibles et aléatoires. Ils deviennent fonctionnaires en ville4 (employés des Postes Télégraphes et Téléphones, mairies, chemins de fer, régies des tramways) ou ouvriers qualifiés dans les usines. L’exode rural des paysans s’intensifie pour la certitude et le confort matériel qu’impose un salaire régulier. Ainsi agit le pouvoir de séduction de la civilisation industrielle. Appelée par l’argent « facile » et les nouvelles choses à acheter, cette jeune génération passe des métiers de l’agriculture et de l’artisanat, à employé avec salaire mensuel. Il est alors possible de monter les échelons et de gagner toujours plus. Le travail devient par conséquent la raison d’être d’Homo Économicus car il permet de produire et consommer davantage, sur une planète aux ressources cependant limitées8.

Les promesses du progrès libérateur masquent toutefois une réalité plus sombre : l’aliénation des ouvriers par des tâches répétitives dans des ateliers insalubres. Dernièrement, c’est la Roumanie9 qui en a fait les frais. Membre de l’Union Européenne depuis 2007, elle est surnommée le « Bangladesh de l’Europe ». L’industrie textile, notamment haut de gamme et luxe10, la préfère à la Chine pour sa proximité géographique. La promesse d’un emploi régulier oblige les ouvriers (souvent des femmes) à accepter une forme moderne d’esclavagisme : des salaires de misère, des horaires décalés, la tyrannie des petits chefs…

Toute crise humaine est issue de l’humain […] mis à part les facteurs que nous ne pouvons maîtriser, l’avenir sera ce que les humains en feront.

Pierre Rabhi, essayiste, romancier, agriculteur, conférencier et écologiste français, fondateur du mouvement les Colibris, Franco-Algérien, né en 1938

L’obsession productiviste s’est introduite jusque dans le monde rural. La Politique Agricole Commune mise en place en 1962 par l’Union Européenne distribue des aides financières en fonction de la surface des fermes. À la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, ces subventions permettaient d’augmenter la productivité tout en modernisant les exploitations afin de garantir la sécurité alimentaire du pays. Maintenant engrais, pesticides, semences sélectionnées, monoculture, agrandissement des parcelles et équipements mécaniques de plus en plus puissants endettent des agriculteurs11 dépendants des aléas climatiques et d’une charité Européenne aléatoire. De leur côté, les petites exploitations indépendantes, à taille humaine, souvent en agriculture biologique, peinent à dégager des bénéfices et vivent perfusées au RSA12.

Paradoxalement, le système dominant agricole se targue de grandes performances. Pourtant en 1940, une calorie d’énergie permettait de produire 2,3 calories de nourriture. De nos jours, il faut dépenser de 713 à 12 (suivant les sources) calories d’énergie (à majorité fossile) pour produire une calorie de nourriture. De plus, il ne peut produire sans détruire : pétrole, pesticides, engrais, consommation d’eau13

Il est également pourvoyeur de gaspillage. 28%14 des superficies agricoles mondiales servent annuellement à produire de la nourriture perdue ou gaspillée. En France, le gaspillage agricole représente 32% du gaspillage alimentaire15. L’association France Nature Environnement en liste les raisons et offre quelques solutions15 :

  • Aliments non récoltés à cause des aléas météorologiques, fluctuation de la demande, différence de maturité sur une même parcelle, inaccessibilité de certaines zones…
  • Normes de calibrage, forme et couleurs imposées par les grossistes et les distributeurs
  • Difficultés de conservation et de stockage
  • Accidents : erreurs de conditionnement, problèmes de manutention…

Pourtant quelques multinationales agricoles (semences, agrochimie…) s’acharnent à maintenir ce modèle coûte que coûte et à le cloner dans les pays en développement pour le bien de leurs bénéfices financiers. Le marché mondial des pesticides était estimé, en 2018, à 53,3 milliards d’euros partagés principalement par cinq sociétés multinationales16 : les allemandes Bayer et BASF, les américaines Corteva Agriscience et FMC et la suisse Syngenta.

Ainsi, des peuples autonomes et archaïques, passent d’une agriculture modérée, nourrissant la communauté avec frugalité, à une monoculture boostée dépendante d’onéreux intrants issus du pétrole, ne garantissant pas toujours la réussite qui reste fonction des aléas climatiques et écologiques. L’agriculture ne sert plus à nourrir une population mais à faire entrer des devises dans un pays par le biais d’exportations qui ne profitent qu’à une poignée d’investisseurs fortunés17. Par conséquent, la majorité des paysans passe de la sobriété agricole à la misère, poussant à l’émigration.

L’optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste est un imbécile malheureux.

Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune, 1938, écrivain Français, 1888-1948

Conscient de la frénésie et de tous les non-sens du monde moderne, Pierre Rabhi le remet vite en question. Dans les années 60, il accorde son mode de vie familial à ses théories. Il s’installe alors sur une petite exploitation agricole Ardéchoise, avec pour autre finalité que de gagner de l’argent. Il y entame un chemin initiatique et y redécouvre des valeurs inestimables : la beauté, le silence, la splendeur du paysage et la nourriture immatérielle. Son rapport à la terre nourricière est du domaine spirituel et mystique et sa gratitude infinie à l’égard de la valeur de tous les présents de la vie car rien ne nous appartient.

L’autonomie, la sécurité et la salubrité alimentaire sont au cœur de son mode de vie. Il développe les principes de l’agroécologie18, une approche systémique conjuguant pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et éthique de vie. Pour cela, il enrichit les acquis paysans antérieurs avec de nouvelles techniques, sans en faire table rase. Structuré en différentes associations, il enseigne ces principes en Afrique du Nord et dans le sud de la France, notamment dans la Drôme, au centre agroécologique des Amanins.

Donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie.

Moïse Maïmonide, rabbin séfarade Espagnol, 1138-1204

Ce lieu d’accueil, né en 2003 de la rencontre de Pierre Rabhi et Michel Valentin, entrepreneur dans le domaine des grandes surfaces alimentaires puis de l’hôtellerie, propose :

  • Une école primaire basée sur la pédagogie du vivre ensemble
  • Des stages et formations en lien avec la philosophie du lieu, sur le thème de la coopération, la communication, les pratiques paysannes, la permaculture…
  • Des classes de découverte pour les enfants de tout âge
  • Des séjours à la ferme pour se ressourcer et découvrir les travaux agricoles
  • Un cadre et des formations pour les séminaires d’entreprises

[1] Calendrier des fruits et légumes de saison en France Métropolitaine, Greenpeace

[2] La culture de l’urgence, La société malade du temps, Nicole Aubert, Champs Essais, 2003, à acheter d’occasion sur Momox ou neuf chez votre libraire de quartier

[3] L’urgence de ralentir, 2014, documentaire de Philippe Borrel, sur une idée originale de Noël Mamère, disponible sur la boutique Arte

[4] La fin du village. Une histoire française, Jean-Pierre Le Goff, Gallimard, collection Folio Histoire, 2012, à acheter d’occasion sur Gibert Joseph ou neuf chez votre libraire de quartier

[5] Une micromaison indésirable dans le petit village de Marcy, Le Monde, 2020

[6] Magister, travaux dirigés de français pour les examens du baccalauréat, prépa et bts, textes d’écrivains Français sur le thème de l’argent. L’argent, Charles Péguy, Édition des Équateurs, réédition de 2008, à acheter d’occasion sur Recyclivre ou neuf chez votre libraire de quartier

[7] Fermeture de l’usine Bridgestone : l’avenir de 863 familles s’est brutalement assombri, Le Monde, 2020

[8] Le jour du dépassement, WWF, 2020

[9] Roumanie : les forçats du textile, Arte, 2017

[10] Les chaussures de luxe «made in Italy» de Louis Vuitton en partie fabriquées… en Roumanie, Slate, 2017

[11] La détresse paysanne dans un monde agricole qui dégringole, Reporterre, 2020

[12] La terre du milieu, L’Heure D, France 3, 2020

[13] L’agriculture industrielle va disparaître, Reporterre, 2014

[14] Pertes et gaspillages alimentaires : Quelques chiffres clés, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

[15] Comment lutter contre le gaspillage alimentaire dans les milieux agricoles ? Association France Nature Environnement

[16] Les chiffres noirs des ventes de pesticides « extrêmement dangereux », Le Monde, 2020

[17] Brésil, Premier exportateur mondial de soja, de viande bovine et de volailles, Terre-net, 2014

[18] Qu’est-ce que l’agroécologie ? Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2013


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